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La couleur du papier
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18 juillet 2013

Rémanents de supernovae

Certains avaient fondu sur la Terre en grande pluie, étoiles d'un genre nouveau, incandescentes et belles, ailées et nouvelles-nées. Eux, c'était différent. Eux, ils étaient tombés.

La sensation du vent, plus fort, plus vite, toujours plus violent sur leur corps les avait fait hurler. Dix mille voix humaines, et d'autres encore, s'étaient répandues dans l'éther. Les étoiles pleuvaient sur le monde de ce premier janvier de l'an deux mille. Leurs propres ailes, d'un unique corps pour dix mille âmes, composées des dix mille plumes qu'étaient dix mille yeux cerclés de khôl, ne leur permettaient pas de voler. Alors ils avaient replié leur corps sur lui-même, ils s'étaient préparé au choc. Durant l'infini que dura leur chute, aucun n'avait osé songer à ce qui se passerait au moment de l'atterrissage. Les dix mille plumes qu'étaient leurs dix mille yeux étaient devenus dix mille paupières closes, dix mille esprits fermés devant la mort.

Avant la chute, ils ne se souvenaient que des étoiles, de leur danse ronde et lente, éternelle, qui flottaient au-dessus de leur tête. De ce temps-là ne leur restait que des fragments de souvenirs mélangés les uns aux autres, pièces improbables de mémoire à partir desquelles ils tentaient de se raccrocher à une identité probable.

Les frictions de l'air s'étaient intensifiées. Et alors que certains ouvraient un oeil pour apercevoir, comme en rêve, la Terre qui étendait ses bras pour les accueillir, une même certitude s'insinua dans chacun des dix mille éclats de sa conscience : bientôt, ils allaient cesser d'être. Tous ignoraient jusqu'au mot du concept de "mort", mais le corps qu'ils partageaient leur était suffisamment familier pour savoir que celui-ci ne résisterait pas à la chute. Que se passerait-il une fois leur corps en pièces ? Aucune idée. Mais ils n'étaient pas spécialement pressés de le découvrir.

Le sol se rapprochait. Leur corps était trop lourd. Beaucoup trop lourd. En étant plus petits, plus légers, peut-être...

Une étoile sembla éclater en vol dans l'éther, loin au-dessus des humains pétrifiés. Des milliers d'éclats lumineux se dispersèrent dans toutes les directions, suivant un plan de vol erratique, et en se posant, semblèrent plus effleurer le sol avec délicatesse. Certains témoins les attrapèrent au vol, d'autres se baissèrent pour les ramasser. Ils ne brûlaient pas, et pulsaient d'une douce lueur, au même rythme que respire un animal blessé.

 

De nos jours, on peut dans les rues parisiennes voir une clocharde assise en tailleur, dos à un graffiti qui semble l'accompagner, une fine paire d'ailes déployées en direction du ciel. Ces ailes ont une particularité : chacune des plumes qui la compose est un oeil cerclé de khôl, ce qui donne l'impression que la femme vous regarde, même les paupières closes. Vous vous direz qu'il n'en est peut-être rien, malgré toutes les bizarreries que le monde traverse. Mais si vous restez assez longtemps pour voir se lever les étoiles, elle se redressera et ses ailes la suivront. Et dans le silence de la nuit, elle changera de quartier avant le lever du soleil.

Si vous lui demandez, elle répondra à vos questions. Car elle a déjà vécu mille vies, et cherche encore les éclats des suivantes.

Car son nom est Myriade, et peut-être veille-t-elle sur vous sans le savoir.

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