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La couleur du papier

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20 juillet 2013

Les deux débiteurs de boisson

- Lèves-toi et marches !

- Pffrruit.

Emmanuelle poussa un long soupir alcoolisé dans une allée sombre de Barcelone. À l'aide de mouvements exagérés, elle releva et replia les manches de sa tunique nazaréenne, arrangea ses cheveux fixés en chignon par une croix d'argent, assura la prise de ses orteils sur leurs sandales respectives, et entreprit de jucher son compagnon d'infortune sur des épaules qui en avaient vu d'autres. Il faut dire qu'Espevin pesait bien son poids, c'est à dire pas grand-chose, mais qu'il avait en outre cette sale habitude de vin de soirée, celle de se laisser aller au roulis, au tangage, au risque de se répandre sur le sol ou quelqu'un. Et pour éviter ça, Emmanuelle devait le charger avec la même délicatesse qu'un nouveau-né : du bout des doigts, sans respirer. Lorsqu'elle sentit ses cheveux de vieilles vignes lui retomber sur les épaules, elle raffermit sa prise et commença d'avancer, au travers des rues en pente et dallées, avec en tête l'objectif utopique d'arriver à destination avant le lever du jour.

- J'arrive pas à croire que tu me ramènes encore.

- Tais-toi et fixe l'horizon. Droit devant, légionnaire. Et je ne veux pas d'excuse absurde comme "l'horizon n'est pas visible à cette heure de la nuit" ; droit devant, j'ai dit !

- Ça va, ça va... Mais par pitié, ce soir, pas de parabole.

- Ça fait partie du contrat, tu ne vas pas y échapper. On s'équilibre, ajouta-t-elle après un moment de silence.

Onomatopée molle d'une digestion impie. Borf.

- On s'équilibre déjà naturellement. Et comme ça, j'aurais pas à subir toutes tes conneries, là... "Aimes ton prochain comme on t'aime", ou jessaipakoi...

- "Aimes ton prochain comme toi-même", corrigea Emmanuelle, sentencieuse comme une peine capitale.

- Que mon prochain aille se faire f-ffoutre.

- Mais je lui souhaite, je lui souhaite.

 

Ainsi allaient le baudet et son cavalier, au gré des ruelles pavées et de la conversation, cet enfer pavé de ponctuation. Ils marchaient au hasard, ou du moins c'est ce qui aurait transparu de leurs actions au regard d'un observateur étranger. Il n'en était rien. Comment croyez-vous que, de manière aussi régulière, des usagers de bars ronds à la manière des queues de pelles puissent retrouver leur chemin au travers de métropoles chacune plus labyrinthique que la précédente ? Certaines épouses accusent le destin, les habitudes, la chance, le divin. Parfois les quatre à la fois. En ce qui concernait Emmanuelle, la réponse était simple et évidente. Le divin. Parce que le divin c'était plus que son rayon. Le divin, c'était sa pomme. Pour un certain nombre, Emmanuelle était la réincarnation officielle de Jésus Christ, toge et sandales comprises, la barbe en moins.

Le contenu d'un pot de chambre s'écarta naturellement de sa trajectoire corporelle pour s'écraser le long du trottoir. Par Miracle, ce genre de choses ne les touchait jamais, mais sonnait en revanche le point de départ des insultes.

- La Prostituée ! cracha une vieille en catalan. La Putain de Babylone arpente nos rues ! La Putain de Babylone !

Pour le reste des croyants impliqués, elle pouvait sans mauvais jeu de mots faire une belle et longue croix sur sa carrière de Messie. Pour le reste des croyants impliqués, Emmanuelle était la tristement célèbre Prostituée de Babylone, faiseuse de Miracles, dominatrice de l'un des multiples avatars de la Bête, et damnatrice des hommes. Et des femmes. Bref, du genre humain dans son ensemble. Une réputation absolument idéale pour sortir le samedi soir.

Toujours passablement éméché, Espevin se laissa couler à terre, sur un sol couvert de matières douteuses, pour pointer un doigt troublement triple en direction de la vieille. Celle qui venait de déclencher le vide-grenier de sanitaires général.

- Dis-donc, grand-mère ! glapit-il d'un ton méchant. Combien de fois tu l'as priée, la môme Emmanuelle, pour que ton Jules batte ta fille plutôt que toi ? Et qui est-ce qui l'a fait crever, cette foutue charogne, hein ? À qui tu crois qu'il l'a dû, son coma éthymmh... !  Mais putain, Manue ! Ppour une fois, UNE ! que je fais un truc bien ! Ah non, hé, pas touche ! Vade retro ! Repose-moi !

 

Traîner Espevin ne fut pas une mince affaire, après que le bougre se soit débattu tant et si mal qu'il chut sur les pavés, proférant des injures en latin et aspergeant les quelques passants de Côte-de-Nuits à l'aide de son robinet viticole. Celui-ci, situé sur l'appendice simiesque partant du bas de son dos (comme toute queue de singe qui se respecte), fournissait notre intéressé en vin de qualité (ou non, selon l'humeur) ; lequel semblait venir des deux tonnelets qui lui tenaient lieu de jambes, avant que l'interlocuteur attentif ne s'aperçoive non seulement de l'endroit réel d'où partait le tuyau, mais aussi de l'identité ambiguë des tonnelets, lesquels se révélaient -stupeur- n'être au final qu'un sarouel fantaisiste tout ce qu'il y avait de plus seyant. Sur la tête d'Espevin se trouvaient deux cornes d'abondance tournées vers l'intérieur, entourées de raisins et de vignes-cheveux, qui déversaient leurs trésors à l'intérieur de son être. Sa peau, avec de nombreux changements de teintes selon l'endroit et l'éclairage, se trouvait la plupart du temps d'un rubis doux et moelleux.

Depuis le dernier croisement, le dénommé Esprit de Vin, démon du troisième cercle des enfers chargé de punir les gourmands, n'avait pas décroché un mot. En un autre mot, il boudait. Mais aussi il cuvait, somnolait et bouillait intérieurement, ce qui fait bien plus d'un mot. En réalité, pour décrire ce qui lui passait par la tête en cet instant précis, il aurait fallu à disposition le contenu d'un dictionnaire, et sans doute pas des plus polis.

Lorsqu'Emmanuelle déverrouilla doucement la porte de la minuscule chapelle dans laquelle ils créchaient tant bien que mal, Espevin acheva de sombrer dans un sommeil peuplé de rêves vengeurs envers Barcelone, ses pots de chambre et ses personnes âgées.

Utopiquement, le jour peinait à se lever.

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18 juillet 2013

Rémanents de supernovae

Certains avaient fondu sur la Terre en grande pluie, étoiles d'un genre nouveau, incandescentes et belles, ailées et nouvelles-nées. Eux, c'était différent. Eux, ils étaient tombés.

La sensation du vent, plus fort, plus vite, toujours plus violent sur leur corps les avait fait hurler. Dix mille voix humaines, et d'autres encore, s'étaient répandues dans l'éther. Les étoiles pleuvaient sur le monde de ce premier janvier de l'an deux mille. Leurs propres ailes, d'un unique corps pour dix mille âmes, composées des dix mille plumes qu'étaient dix mille yeux cerclés de khôl, ne leur permettaient pas de voler. Alors ils avaient replié leur corps sur lui-même, ils s'étaient préparé au choc. Durant l'infini que dura leur chute, aucun n'avait osé songer à ce qui se passerait au moment de l'atterrissage. Les dix mille plumes qu'étaient leurs dix mille yeux étaient devenus dix mille paupières closes, dix mille esprits fermés devant la mort.

Avant la chute, ils ne se souvenaient que des étoiles, de leur danse ronde et lente, éternelle, qui flottaient au-dessus de leur tête. De ce temps-là ne leur restait que des fragments de souvenirs mélangés les uns aux autres, pièces improbables de mémoire à partir desquelles ils tentaient de se raccrocher à une identité probable.

Les frictions de l'air s'étaient intensifiées. Et alors que certains ouvraient un oeil pour apercevoir, comme en rêve, la Terre qui étendait ses bras pour les accueillir, une même certitude s'insinua dans chacun des dix mille éclats de sa conscience : bientôt, ils allaient cesser d'être. Tous ignoraient jusqu'au mot du concept de "mort", mais le corps qu'ils partageaient leur était suffisamment familier pour savoir que celui-ci ne résisterait pas à la chute. Que se passerait-il une fois leur corps en pièces ? Aucune idée. Mais ils n'étaient pas spécialement pressés de le découvrir.

Le sol se rapprochait. Leur corps était trop lourd. Beaucoup trop lourd. En étant plus petits, plus légers, peut-être...

Une étoile sembla éclater en vol dans l'éther, loin au-dessus des humains pétrifiés. Des milliers d'éclats lumineux se dispersèrent dans toutes les directions, suivant un plan de vol erratique, et en se posant, semblèrent plus effleurer le sol avec délicatesse. Certains témoins les attrapèrent au vol, d'autres se baissèrent pour les ramasser. Ils ne brûlaient pas, et pulsaient d'une douce lueur, au même rythme que respire un animal blessé.

 

De nos jours, on peut dans les rues parisiennes voir une clocharde assise en tailleur, dos à un graffiti qui semble l'accompagner, une fine paire d'ailes déployées en direction du ciel. Ces ailes ont une particularité : chacune des plumes qui la compose est un oeil cerclé de khôl, ce qui donne l'impression que la femme vous regarde, même les paupières closes. Vous vous direz qu'il n'en est peut-être rien, malgré toutes les bizarreries que le monde traverse. Mais si vous restez assez longtemps pour voir se lever les étoiles, elle se redressera et ses ailes la suivront. Et dans le silence de la nuit, elle changera de quartier avant le lever du soleil.

Si vous lui demandez, elle répondra à vos questions. Car elle a déjà vécu mille vies, et cherche encore les éclats des suivantes.

Car son nom est Myriade, et peut-être veille-t-elle sur vous sans le savoir.

16 juillet 2013

Bombastus Osburick

Bombastus Osburick n'était pas un homme beau.

Avec sa peau sèche et parcheminée, ses doigts de squelette engoncés dans une chair grise, rude et dure comme de l'écorce et tout aussi creusée que la peau d'un chêne, avec les deux flammes bleues qui luisaient au fond de leurs orbites, avec des dents qui tenaient plus du requin blanc que de l'homme, sans lèvres désormais, et par ailleurs sans cheveux ni paupières, il ressemblait avec toute la force de l'horreur indicible à une marionnette d'Haloween taillée d'un seul bloc dans un un bois millénaire et maudit.

Bombastus Osburick n'était pas un homme beau, et il s'en moquait. Il avait ses raisons pour ne pas être beau. La principale étant que Bombastus Osburick n'était pas non plus un homme vivant. Pourtant, à bien y réfléchir, ce n'était pas non plus un mort sans vie. Il aimait et chérissait avec force tous les menus plaisirs que pouvait lui adjoindre son absence de vie, philtres, greffes et potions lui permettant de palier à une autre absence, celle de capteurs sensoriels.

Il se passionnait pour sa sensibilité physique perdue, bien que l'effet visible de son contentement ne puisse en général pas être perçu de l'extérieur. Un anglais l'eu trouvé flegmatique. Les autres, simplement mort. Mais le doux frémissement d'extase qui parcourait son corps immobile dès qu'il touchait de la soie ou les noeud du bois de sa table de chêne, qu'il humait l'air de sa cave au moyen d'une inspiration calculée, qu'il goûtait l'eau du robinet de la même manière qu'un oenologue sûr de son art accueille un grand vin à l'entrée de son palais, qu'il écoutait avec l'attitude d'un moine repu par la prière et patiemment béat tout la musique qu'il n'avait pas pu écouter à l'époque où il avait vécu, ce frémissement existait bel et bien, et en son sein résidait plus de force que toute la jouissance des mortels réunis.

Somme toute, Bombastus n'aspirait ni plus ni moins que ce à quoi chacun aspire en général : goûter pleinement les plaisirs de la vie, en plus de celles de l'existence.

Bien que décédé, desséché et racorni physiquement, il aimait à prendre soin de son apparence, toujours tiré à quatre épingles, funèbre pour la circonstance, toujours en noir, toujours en croque-mort. Non pas que croque-mort eût été son métier, de son vivant. Il plutôt versé dans l'alchimie, et à l'époque sa recherche de la vie éternelle ainsi que les demandes extravagantes de son testament avaient fait grand bruit (sans non plus réveiller les voisins).

 

Fils d'un grand négociant en vins, Bombastus s'était vite enrichi en achetant moins chères les bouteilles de son paternel et en les revendant au verre, bien plus accessibles pour la bourse du commun. Il écoulait de cette façon tous les invendus et même quelques bouteilles de plus, et la vie suivait son petit bonhomme de chemin.

Et puis, un soir, il avait croisé Amaund. Bien habillé, bien fait de sa personne, versé dans les spiritueux et le spirituel, Amaund était un homme apparemment d'âge mûr, cultivé et moqueur. Au fil des soirs passés à l'auberge, une forte amitié s'était liée entre les deux hommes. Ils avaient discuté de tous les sujets dont ils avaient eus envie, à commencer par le vin. Le reste était venu naturellement, à grands renforts de "Il me faut vous faire goûter notre dernier vin aux herbes" et de partitions musicales améliorées et enhardies par l'alcool. Finalement, ils en étaient venus, après moult verres et sous-entendus, après avoir enlevé, une à une, les diverses couches qui recouvraient la question, après s'être assuré que Bombastus ne craignait pas de faire fi de superstitions ridicules, ils en étaient venus au sujet de l'alchimie et de la vie éternelle.

Pourquoi attendre une récompense céleste, qui par ailleurs n'existait peut-être pas (Diderot est assez clair sur ce point. Oui mais Pascal ? Qu'il parie, et qu'il me foute la paix ! Un autre, ami cher à mon coeur !), quand on pouvait selon toute vraisemblance vivre éternellement sur cette bonne vieille terre ? Bombastus s'était alors attaché à l'étude de la théorie alchimique et à la transmutation de la Pierre Philosophale. De telles études, en plus de son travail, prirent trois ans avant de voir une certaine concrétisation. Pendant ces trois ans, Amaund avait patiemment rassemblé (avec une partie de la fortune de son amant) les ouvrages, ingrédients et le matériel nécessaire à l'accomplissement du Grand Oeuvre. Bombastus ferait un excellent assistant, après avoir fait un mécène plus que correct.

Que l'on aille pas croire Amaund fourbe ou dépensier : il croyait en ses propos, aussi durement qu'un chrétien croit en Paradis ou un viking à son entrée glorieuse au Valhalla. Simplement, et peut-être comme ses compères précédemment cités, il se gourait autant de cible qu'un Guillaume Tell infanticide.

Le résultat de la Transmutation ressemblait plus à un agglomérat de chiures noircies par le feu qu'à la pierre couleur rouge écarlate qu'ils étaient censé trouver.

Devant cet échec, Amaunde en avait perdu la raison. Sa seule chance d'échapper au néant venait, disait-il, de disparaître. Alors il avait voulu vivre cent vies, et pour ce faire préparé le doux haschich qui alanguit et apporte la paix. Par amour pour son ami, Bombastus s'était occupé de lui jusqu'à la fin. Il avait continué ses recherches, il y avait cru jusqu'au bout, sa fortune tiraillée des deux côtés par une confiture ambrosiaque et par des tentatives ratées pour accomplir ce qui ne pouvait être fait.

 

Enfin, il avait rédigé son testament. Stipulé qu'il fallait continuer les recherches, et lorsqu'elles aboutiraient les ressusciter tous deux grâce aux merveilles de la Pierre. Ce qui restait de sa fortune servait de fond de recherche, de catalyseur pour cette grande entreprise. Il avait, en outre, indiqué la procédure pour prendre soin de leurs corps, afin qu'ils se ne détériorent point avant que les recherches ne soient achevées.

Depuis plusieurs semaines, Amaund semblait ne plus vouloir sortir de sa transe, dans laquelle il lui était possible de goûter, même pour un instant, à une fraction d'éternité. D'être en paix. Il maigrissait à vue d'oeil, ses muscles fondaient rapidement faut d'exercice, sa barbe décidée à croître plus loin que les limites bien taillées qu'elle acceptait ordinairement de respecter.

Son regard montrait un relâchement profond, détaché d'un monde inutile et vain quoi qu'on en fasse.

Avant de prendre sa propre dose, trafiquée pour le faire sombrer dans la paix et dans la mort, Bombastus l'avait embrassé, délicatement. Puis il s'était retourné sur le dos. Il avait calmement attendu l'arrivée du froid.

 

Lorsque son jeune frère, nommé par Bombastus exécuteur testamentaire, apprit qu'il s'était étouffé dans son sommeil avec l'assistance d'une substance douteuse, il le déclara perdu pour l'Eglise et le Seigneur, et se contenta de prendre en charge les frais d'enterrement pour étouffer l'affaire. En convenant avec le notaire d'une somme modique, celui-ci irait honorer la mémoire du défunt au café, pendant que le frère relirait en détail le document pour être sûr de ce que souhaitait réellement le pauvre Bombastus. Comme on pouvait le supposer, ledit frère s'assura une confortable rente à vie.

Bien entendu, l'affaire s'ébruita. Un peu. Mais jamais assez pour inquiéter un homme possédant un peu de fortune, fût-elle celle, volée, d'un parent disparu.

L'histoire de Bombastus et d'Amaund tomba alors dans l'oubli, jusqu'à cette seconde fatidique de l'an 2000, où l'éternité s'était réveillée et remise en marche.

 

Car il était dit qu'au Jugement Dernier le Séjour des morts serait rappelé pour vivre à nouveau.

15 juillet 2013

Projet à monde ouvert

Le message précédent brise déjà la dynamique fraîchement instaurée du blog, quel dommage ! (et qu'est-ce que je raconte, moi ?)

Plus sérieusement, il s'agit d'un petit projet à monde ouvert, qui débute par ce court prologue ! Pour les modalités de participation, j'ai fait une ch'tiote page explicative aux p'tits aïeux, regardez plus bas. (Et puis je ne vais pas réécrire tout, non mais !)

Cependant il faut bien poser les bases de l'histoire. Ça reste relativement simple : on dit souvent que l'esprit (humain, entre autres) a une influence sur le monde. Par exemple sur la création ou la disparition sur soi-même de symptômes physiques, voire de maladies dans certains cas. En partant de ce principe, que se passerait-il si tous les croyants judéo-musulmano-chrétiens (plus quelques autres, hein, ne faisons pas de jaloux) craignaient de manière très importante une apocalypse supposée commencer à minuit pile, le soir du réveillon du nouveau millénaire ?

Ça donne une demi-apocalypse. Une apocalypse avortée, mais une apocalypse quand même. Avec, en génération spontanée, des anges, des démons, des Bêtes, des Cavaliers, des morts-vivants, le retour du Christ... Bref, un paquet de croyances (avec toutes leurs dérives) qui se matérialisent sur Terre, mais sans aller jusqu'au bout.

La question se pose alors : comment va-t-on gérer tout ça ? Parce que des anges passant au-dessus de l'espace aérien européen, c'est bien beau mais ils risquent surtout de se prendre un tir de chasseur dans les plumes !

Quid d'une Apocalypse qui ne va pas jusqu'au bout, d'une Apocalypse un peu pétard mouillé, mais qui reste un changement gigantesque dans la politique internationale ? Parce qu'il va bien falloir les loger, ces braves gens.

Quid aussi des "autres" pays (ça en fait quand même un petit paquet), ceux dont la croyance principale n'est pas monothéiste, ou alors pas celui-là ? Le gros bug de l'an 2000 a-t-il affecté leur situation ?

 

Voilà voilà. Si vous avez des questions, des propositions... n'hésitez pas à me contacter par mail à hdebarzombi(at)gmail.com .

10 juillet 2013

Apocalypse en cours... (veuillez patienter) - Prologue

Et puis soudain le ciel se retrouva fendu, et ce fut la panique.

Enfin, pourrait-on objecter, c'était déjà la panique avant même ce magistral coup de glaive cosmique au travers du tissu céleste. Ce fut donc le chaos. Un chaos prévu, calculé, pensé, craint, jusqu'à la dernière seconde depuis un bon millénaire au bas mot. Un chaos qui aurait pu tout aussi bien ne pas se produire du tout, la mécanique des foules tenant parfois à bien peu de choses. Une lumière, un regard, un mouvement de fuite ou de peur simultané.

Une terreur apocalyptique ne tient pas forcément à plus que ça. Même si pendant des mois, des années à l'avance, une catastrophe est prédite avec exactitude, il lui arrive de n'être maintenue que par la foi qu'on lui apporte. Parce que selon l'avis de tous, on n'y peut rien. Qu'il fallait bien que ça arrive un jour. Que c'était inévitable. Pire, dans certains cas : que c'était prédit, couru d'avance. Comment échapper à l'ombre de ses Moires si elles sont acceptées depuis longtemps ?

Le décompte venait de s'achever. Ce fut l'instant précis que choisit la foule en prière pour se livrer à une hystérie grandiose, extatique, dont nul ne savait exactement où, ni comment ni pourquoi elle avait commencé.

La peur. La peur avait séparé en deux le ciel, écartelé ensuite la terre jusqu'à ses plus profondes entrailles. Ils l'avaient voulue, et Elle était là, vomissant par ses brèches toute la croyance qui leur était chère. Elle était belle, et bien là, Cavaliers en tête, Légions virevoltantes et grouillantes, Bêtes et Déchu fermant la marche.

La peur. La peur s'était cristallisée, pure et blasphématoire envers la marche du monde, et dans le ciel orange et teinté d'aurore, avait monstrueusement et merveilleusement donné naissance à une chose impossible.

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22 juin 2013

Le Blues du Démon - Chapitre final

Les premiers accords firent dresser les oreilles du chien. La voix de Bartholomew les fit tressaillir. Il chantait avec une énergie qu'aucun des gens présents dans la salle ne lui connaissait. Ce n'était pas du désespoir, mais chacune des personnes présentes dans le public sentaient clairement qu'il s'agissait de sa dernière chanson, bien qu'il n'eut rien annoncé à la presse (ni à qui que ce soit, d'ailleurs).

Il se mit à jouer, à chanter plus fort. Plus vite. Il voulait en finir, et il voulait que ça se passe en beauté. Seulement, quand les dernières paroles glissèrent hors de ses lèvres, le dogue ne bougea pas ; et resta couché, la tête entre les pattes, sans montrer le moindre désir de partir. Il était toujours là lorsque Bartholomew rangea sa guitare pour rentrer chez lui. Il ne bougea pas. Il se contenta simplement de le regarder avec deux yeux qui ressemblaient à des immensités noires, et qui disaient encore une chanson, demain. Mais ce sera la dernière.

Et le lendemain, tout recommençait. Le même rituel, jour après jour, ville après ville. Où qu'il aille, le dogue allait. Les années passèrent et le chien demeura, mais jamais il ne prit son âme.

Alizée contempla le large dogue noir aux pieds du chanteur. Celui-là ? Celui-là. La représentation de Faust suivait son cours, et c'est là-dessus que l'attention du public se trouvait focalisée.

De fait, nul n'entendit le récit du solitaire Bartholomew O'Callaghan et ce qu'il confia ce soir-là à la jeune femme. Le barman, en revanche, se souvient de la suite. Il se rappelle avoir vu le vieux bluesman caresser la tête de son chien, un animal splendide qui ne le quittait jamais, lequel redressa son regard et, pendant un instant, donna l'impression de sourire. Ce qui fit frissonner le barman, car on avait jamais vu de chien sourire. Puis Bartholomew avait joué une chanson.

 

Je ne me souviens plus de la chanson, de ses paroles. Mais il m'arrive encore de la fredonner dans mon sommeil ; cette mélodie entêtante, envoûtante, divine. Ensuite, il s'est levé, et en regardant la jeune femme, il a dit : C'est l'heure. La petite brune a souri, tout doucement, presque tristement, et elle lui a pris la main. Ils sont sortis, et je ne les ai plus jamais revus.

Mais depuis, toutes les nuits, je rêve d'un carrefour où se croisent quatre chemins de terre.

 

21 juin 2013

Le Blues du Démon - Chapitre 3

Ce n'était pas tant par son style de musique que le musicien, invisible dans cette purée de pois, se différenciait des autres. C'était par sa manière de jouer. Les accords étaient, de toute évidence, improvisés au fur et à mesure, mais il y avait aussi cette perfection d'enchaînement qui ne peut s'acquérir que lorsque l'on connaît un morceau -littéralement- sur le bout des doigts.

Une grande silhouette s'approcha de Bartholomew, guitare à la main, sans cesser de jouer. L'instant était surréaliste. Un large chapeau cachait le haut du crâne et les yeux de l'étranger ; le manteau, jeté sur ses épaules maigres, empêchait de distinguer quoi que ce soit en dehors de ses doigts fins posés sur la guitare ; le noir profond de ses habits le faisait ressembler à une ombre sortie de la nuit, et enfantée par elle. Il ne dit rien, mais tendit la guitare en direction du jeune homme. Sans prononcer une parole, après un instant d'hésitation, celui-ci s'en saisit et joua quelques accords. Le son était divin. En jouer était facile.

Le personnage au chapeau fit mine de jeter un oeil au contenu de sa bourse de cuir, dont on aurait pu jurer qu'elle venait de se matérialiser au travers du brouillard, dans le creux de sa main. Le résultat sembla le satisfaire, et sans un bruit il tourna les talons pour disparaître au croisement des quatre chemins de terre.

Ce fut à cet instant que Bartholomew O'Callaghan comprit combien son erreur avait été terrible, et ce qu'elle allait réellement lui coûter.

Selon les légendes, il lui restait dix ans.

Et par "dix ans", on sous-entendait dix ans au maximum, sans compter toutes les possibilités de petits accidents de parcours. Une voiture, ça vous fauche vite. Rien de tout cela pour Bartholomew, qui regarda d'un oeil morne sa carrière musicale décoller, indifférent à tout, sauf peut-être à ce qu'il s'envoyait dans le pif (métaphoriquement et littéralement) pour oublier son échéance. Le public l'aimait, mais plus le temps passait plus il devenait distant. Les membres de son entourage le voyaient partir sans rien pouvoir faire. Ce n'était pas une dépression, ou un désintérêt pour le monde du réel, mais bel et bien une résignation.

Le temps lui fila entre les doigts comme de la poudre blanche. Et avant d'avoir pu comprendre ce qu'il s'était passé, les dix ans étaient écoulés. Le soir fatidique, Bartholomew se mit simplement en place sur scène. Il ne savait pas comment se passerait le voyage, mais ce ne serait certainement pas agréable.

Le public s'installait encore lorsqu'un chien, un gigantesque dogue argentin au poil noir et luisant, la fourrure encore ébouriffée par le voyage qu'il venait de faire, fit quelques pas dans ce petit bar au bord de la route où Bartholomew venait se produire. En une seconde, tout était dit : le regard du dogue lui signifiait une chanson, pas plus.

20 juin 2013

Le Blues du Démon - Chapitre 2

Le vieil homme s'interrompit un moment pour écraser son mégot. Finir son verre de scotch jouait aussi dans la case des priorités, et il enchaîna sur la discussion avec quelques accords fleurant bon l'Écosse profonde. Diamétralement opposé à son premier registre, mais d'une beauté toujours troublante. Alizée se replaça silencieusement sur sa chaise, attendant qu'il poursuive.

Ce qu'il fit. Son histoire avait, en plus du précédent, un accent hasardeux lié au whisky. Ladite liqueur avait sans doute aussi à voir avec le fait que lui, d'ordinaire si silencieux, se permettait d'ouvrir les portes de son passé à une parfaite inconnue ; fut-elle aussi charmante qu'Alizée.

24 octobre 1955, 23h54.

Un carrefour de quatre petites routes de terre, "dans un coin paumé de la campagne irlandaise", près de ces "putains de highlands".

Le soir était tombé plus vit e que Bartholomew ne l'avait espéré. Le brouillard, ou, comme il aimait à se rassurer, "la légère brume" qui s'était levée une heure auparavant n'avait pas aidé. Impossible de savoir par où rentrer, par où partir. On pouvait tout aussi bien arrêter la phrase à "impossible de savoir par où". Le jeune Bartholomew avait alors à peine vingt-quatre ans, un jeune adulte un brin maigrichon, aux cheveux épais et frisés jusqu'à la racine, avec un air d'assurance puérile derrière une barbe fournie (ou du moins, bien fournie pour son âge). L'assurance en question avait diminué avec le froid, rétrécie au traitement infligé par le mur opaque et gris du brouillard, et disparue dans le dernier rayon du soleil couchant.

Résolu à passer la nuit dans ce qui restera gravé dans sa mémoire comme un tournant de son existence, Bartholomew s'était enveloppé dans un manteau de cuir confortable, à l'intérieur duquel il se sentait comme un poisson rouge dans une piscine olympique. La montre de son grand-père était restée dans le tiroir supérieur de sa table de chevet, aussi n'avait-il aucune idée de l'heure exacte. Ce n'est que lorsque ses oreilles saisirent, au loin, les tintements sonores des douze coups de minuit qu'il sut à la fois l'heure exacte, et où il devait diriger ses pas. Mais tandis que le jeune homme partait, frigorifié, en direction du clocher probable, un autre son se fit entendre derrière lui. Un son bien précis, particulier, qui tintait également, en un sens. Ce son, c'étaient les notes d'un air tel qu'il n'en avait jamais entendu.

18 juin 2013

Le Blues du Démon - Chapitre 1

 

De grandes planches de théâtre, presque vides. Au centre de la scène, à son arrivée, le Fou sera narrateur. Il est vêtu de son habit traditionnel à grelots (à ceci près que le tissu est en partie brûlé), et arrive sur scène en époussetant ses manches et ses épaules pleines de soufre (l'odeur doit être présente). On lui sent un certain détachement soulagé.

 

LE FOU, d'une voix nasillarde : Ah ! Mes bons amis ! Vous êtes là ! Comme je suis aise de vous retrouver... J'ai un emploi du temps, hum, infernal. Ha ! (il parcourt la scène de long en large) Infernal. (il s'arrête, songeur) Non, laissez, je me comprends. (un temps) À propos d'infernal. Je tiens de ce vieux M. (mon patron) une anecdote sur le sujet. Faust, ça vous... ? (il mime un engrenage tournant au niveau de sa tête)

Accoudé au bar, un vieil habitué, assis à gauche de la jeune femme, sourit. Le serveur, en déposant une pinte de blonde à la brune rondouillette, regardait le spectacle d'un air désapprobateur. La présente version était, à l'entendre dire, une bouffonnerie indigne de l'œuvre écrite par Goethe.

LE FOU, en désignant le serveur : Ne doute point de mes paroles, remplisseur de chopes de bas étage ! Car l'histoire à laquelle je me propose de vous introduire ce soir n'est pas une simple bouffonnerie... (il se rapproche du public, et murmure à la foule d'un air réjoui) Car, chers amis... Il s'agit de ma bouffonnerie !

Et tandis que l'acteur taquin continuait de se dandiner sur scène, le serveur retourna à ses bières, en marmonnant au passage quelque chose qui ressemblait, de loin, à un "Merde, il a l'ouïe fine, le con". La petite brune goûta le breuvage précédemment déposé du bout des lèvres, apprécia la mousse fraîche comme s'il s'agissait de la première depuis des années, puis jeta un œil au café-théâtre qui se dépliait autour d'elle au rythme de son public. Trop longtemps. Cela faisait vraiment trop longtemps qu'elle n'avait eu l'occasion de venir jusqu'ici. Au moins, songea-t-elle en contemplant la longue robe qui couvrait ses hanches girondes, j'ai plutôt bien choisi la tenue.

Quelques accords de guitare accrochèrent ses oreilles. On jouait, et on jouait bien. Un vieux blues qui appelait à lui une mémoire enfouie depuis longtemps. Trop longtemps.

Le type qui grattait s'appelait, elle l'apprit bientôt, O'Callaghan, Bartholomew O'Callaghan, et il était aussi vieux que ses cheveux étaient blancs et sa peau, noire.

LA PETITE BRUNE, en posant sa bière près de la table de Bartholomew : Joli son. Vous jouez superbement, un plaisir pour les oreilles.

BARTHOLOMEW, gravement, avec cet accent si particulier du nord de l'Irlande : Merci.

LA PETITE BRUNE, tendant la main et appuyant son geste d'un sourire : Alizée. Enchantée de vous connaître. Vous êtes irlandais, si je ne m'abuse, monsieur O'Callaghan ?

BARTHOLOMEW, acceptant la poignée de main et tirant sur son mégot : C'est bien ça, c'est bien ça. Mais mon père venait de Londres. J'ai emménagé ici après sa mort, il y a quatorze ans. (devant son air à la fois interrogateur et attentif) Une manière de revenir à mes origines, si vous préférez.

ALIZÉE : Irlandais, Anglais... Vous avez d'autres racines pour jouer aussi bien de la musique ?

BARTHOLOMEW, soudain grave : Oui m'dame, j'ai d'autres raisons pour ça.

20 mai 2013

Spéléologie paperassière

D'un coup sec, le piolet s'enfonce au coeur du parchemin.

Le petit homme tente d'être prudent dans sa descente, même s'il sait bien que sa chute, si elle arrive, sera rapide et sans grand danger. Le vide sous ses pas l'attire et le repousse au fur et à mesure de sa descente, à chacun de ses mouvements effectués dans le silence du trogloscriptorium. Autour de lui, la caverne de papier semble respirer d'elle-même, de dix, vingt, cent façons différentes. Engoncé dans une chemise crème et un gilet bordeaux, le spéléologue amateur a du mal à bouger librement, mais c'est une tenue dont il ne peut se passer. Il l'a porté lors de sa première entrée au trogloscriptorium, et toujours depuis lors de ses descentes. Deux sons se mélangent à ses oreilles, le silence (car le silence est un son, avec sa mélodie propre) et les murmures de l'encre parchemurée au coeur de l'endroit.

Enfin, il pose les pieds sur la surface compacte de feuilles agglomérées, détache la corde de rappel serrée autour de sa taille, pose le piolet. Réajuste et resserre le noeud papillon bleu qui lui coule autour du cou. Il fait quelques pas dans la caverne, en apprécie le parfum de vanille que produit le vieux papier, ferme les yeux un instant avant de se remettre en marche. Le sol bruisse sous ses pieds, avec un son qui n'est pas sans rappeler la chambre en bordel d'un étudiant, les documents qu'on froisse à chaque foulée qu'on fait. Il marche au hasard, il connaît bien l'endroit.

Au détour d'un tunnel, le petit homme finit par apercevoir ce qu'il cherche : un feuillet usé, qui commence à se détacher des parois. À l'aide d'un petit canif, il le décroche doucement, se laisser tomber en tailleur et commence à lire.

- Ça démarre bizarrement.

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