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La couleur du papier
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21 juin 2013

Le Blues du Démon - Chapitre 3

Ce n'était pas tant par son style de musique que le musicien, invisible dans cette purée de pois, se différenciait des autres. C'était par sa manière de jouer. Les accords étaient, de toute évidence, improvisés au fur et à mesure, mais il y avait aussi cette perfection d'enchaînement qui ne peut s'acquérir que lorsque l'on connaît un morceau -littéralement- sur le bout des doigts.

Une grande silhouette s'approcha de Bartholomew, guitare à la main, sans cesser de jouer. L'instant était surréaliste. Un large chapeau cachait le haut du crâne et les yeux de l'étranger ; le manteau, jeté sur ses épaules maigres, empêchait de distinguer quoi que ce soit en dehors de ses doigts fins posés sur la guitare ; le noir profond de ses habits le faisait ressembler à une ombre sortie de la nuit, et enfantée par elle. Il ne dit rien, mais tendit la guitare en direction du jeune homme. Sans prononcer une parole, après un instant d'hésitation, celui-ci s'en saisit et joua quelques accords. Le son était divin. En jouer était facile.

Le personnage au chapeau fit mine de jeter un oeil au contenu de sa bourse de cuir, dont on aurait pu jurer qu'elle venait de se matérialiser au travers du brouillard, dans le creux de sa main. Le résultat sembla le satisfaire, et sans un bruit il tourna les talons pour disparaître au croisement des quatre chemins de terre.

Ce fut à cet instant que Bartholomew O'Callaghan comprit combien son erreur avait été terrible, et ce qu'elle allait réellement lui coûter.

Selon les légendes, il lui restait dix ans.

Et par "dix ans", on sous-entendait dix ans au maximum, sans compter toutes les possibilités de petits accidents de parcours. Une voiture, ça vous fauche vite. Rien de tout cela pour Bartholomew, qui regarda d'un oeil morne sa carrière musicale décoller, indifférent à tout, sauf peut-être à ce qu'il s'envoyait dans le pif (métaphoriquement et littéralement) pour oublier son échéance. Le public l'aimait, mais plus le temps passait plus il devenait distant. Les membres de son entourage le voyaient partir sans rien pouvoir faire. Ce n'était pas une dépression, ou un désintérêt pour le monde du réel, mais bel et bien une résignation.

Le temps lui fila entre les doigts comme de la poudre blanche. Et avant d'avoir pu comprendre ce qu'il s'était passé, les dix ans étaient écoulés. Le soir fatidique, Bartholomew se mit simplement en place sur scène. Il ne savait pas comment se passerait le voyage, mais ce ne serait certainement pas agréable.

Le public s'installait encore lorsqu'un chien, un gigantesque dogue argentin au poil noir et luisant, la fourrure encore ébouriffée par le voyage qu'il venait de faire, fit quelques pas dans ce petit bar au bord de la route où Bartholomew venait se produire. En une seconde, tout était dit : le regard du dogue lui signifiait une chanson, pas plus.

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